1 - Le taux d’emploi des seniors en France est faible
Voir le verre à moitié plein : le taux d’emploi des seniors (55-64 ans) est de 56/57% environ aujourd’hui alors qu’il était de 29% en 1990. En plus de 30 ans, il a « presque » doublé.
Les réformes du système de retraite français, corrélées avec l’allongement de l’espérance de vie et l’amélioration de la santé générale, ainsi qu’avec la proportion plus grande de diplômés du supérieur (favorisant des carrières plus longues), sont les raisons de cette augmentation.
Mais c’est l’arbre qui cache la forêt : si en valeur relative, le taux d’emploi des 55-64 ans a augmenté, il reste insuffisant.
Le verre à moitié vide : en valeur absolue, près d’un senior sur deux à partir de 55 ans n’est plus en activité, ce jusqu’à l’âge légal de la retraite (64 ans).
Le taux d’emploi chute en France à partir de 60 ans à 35% (1 actif en poste sur 3) et à partir de 64 ans à 20% (1 actif en poste seulement sur 5).
Pire, selon un rapport de l’INSEE (rapport n°1946 du 11 mai 2023) : 1 personne sur 6 entre 55-69 ans est dépourvu à la fois d’emploi et de retraite (les « NER »).
Et des comparaisons européennes sans appel :
- La France est en-deçà de la moyenne de la zone euro : 56% contre 61%.
- Nous sommes très loin de l’Allemagne (taux d’emploi des 55-64 ans de près de 72%) ou de la Suède (près de 77%).
- Le rapport entre le taux d’emploi des 55-64 ans par rapport au 25-64 ans dans les pays nordiques est de près de 90%, ce qui signifie que les seniors travaillent quasiment autant que les autres. En France, ce rapport est seulement de 66%.
Pourquoi l’Allemagne et pas nous ?
Depuis 10 ans, outre-Rhin, la part des seniors dans la population active a connu une augmentation massive résultant de 4 facteurs principaux :
- Les réformes du marché du travail de l’Agenda 2010 (réformes de Gerhard Schröder) et l’allongement progressif de l’âge du départ à la retraite depuis 10 ans (67 ans en 2029 pour bénéficier du taux plein) ;
- Un volume d’emplois de 1,8 millions d’emplois inoccupés ;
- Un haut niveau d’éducation des salariés allemands ;
- Un niveau des pensions calculé sur les revenus gagnés pendant les 45 années d’activités, alors qu’il dépend des 25 meilleures en France.
De quoi choisir de rester en activité dans un contexte de besoin de main d’œuvre important.
Lorsque l’âge légal de la retraite était à 62 ans, il était constaté un pic des sorties d’emploi à l’âge de 59 ans pour bénéficier des 3 ans d’indemnités chômage accessibles au plus de 55 ans et pour « faire le pont ».
Le Ministre de l’économie indique début 2024 souhaiter supprimer les « pré-retraites Unedic » qui permet à un salarié, souvent par accord tacite avec l’employeur, de négocier un départ avec la garantie d’être indemnisé par France Travail jusqu’à l’âge légal de la retraite, et même au-delà le temps qu’il obtienne tous ses trimestres s’il a épuisé ses droits au chômage entre temps. Ce dispositif, appelé le maintien de droits, s’applique aux personnes âgées d’au moins 62 ans qui sont déjà indemnisées par l’assurance chômage depuis au moins un an, à certaines conditions. Les allocations continuent d’être versées jusqu’à ce que le nombre de trimestres nécessaires pour une retraite à taux plein soit atteint, au maximum jusqu’à l’âge de 67 ans.
La pratique des départs en pré-retraite du système français dévoient le système redistributif français, au lieu de s’employer à revaloriser le positionnement des seniors dans l’entreprise en changeant les mentalités.
2 - Le vieillissement de la population active en France et le mix multigénérationnel des effectifs sont un défi organisationnel pour les RH.
Rappelons que les boomers et les X sont les salariés à partir de 45 ans environ. Les Y et Z sont nés dans les années 80 et 90 respectivement et ont moins de 45 ans.
L’âge est indéniablement discriminatoire en France. Il donne lieu à stigmatisations en entreprise en faveur du jeunisme. Mais en 2035, 50% de la population aura plus de 45 ans. Les pays d’Europe du Nord et ceux d’Asie intègrent plus facilement les seniors dans les parcours professionnels. Au Japon ou en Corée du Sud, le respect des aînés est très poussé.
Un changement culturel doit être indéniablement amorcé en France, en reconnaissant les atouts que peuvent représenter les seniors dans l’organisation collective et en optimisant les bénéfices qui résultent d’un mix collectif intergénérationnel.
a) Les seniors ne sont pas moins « rapides » intellectuellement que les jeunes, car ils ont pour atout l’expérience.
Une vérité de Monsieur Jacques de La Palice qui semble oubliée par nos entreprises : les boomers ou X sont des salariés expérimentés qui cumulent des années d’apprentissage. C’est un capital important de savoir-faire à valoriser et à utiliser.
Une cliente m’a rétorquée un jour « je veux quelqu’un de jeune car lorsqu’on vieillit, on a moins de capacité d’adaptation et d’agilité ».
Or affirmer une telle généralité est inexact du fait du capital d’expérience acquis. Selon les neurosciences, la question de l’agilité intellectuelle et de son évolution avec l’âge est assez complexe. D’une manière générale, il est reconnu que certains aspects de la fonction cognitive, comme la mémoire de travail et la vitesse de traitement de l’information, aspects cognitifs primordiaux, peuvent éventuellement diminuer avec l’âge (plutôt après 60 ans et cela est très variable selon les individus).
En revanche, d’autres aspects cognitifs primordiaux, tels que les connaissances acquises (la mémoire sémantique) et les compétences fondées sur l’expérience (la sagesse) ont tendance à rester stables voire s’améliorer.
A l’argument de la potentielle diminution de la mémoire de travail et de la vitesse de traitement de l’information, faisons une comparaison avec les « jeunes » Y et Z :
Les seniors plus expérimentés peuvent être plus rapides dans la prise de décision dans des domaines où ils ont une expertise, grâce à leur capacité à reconnaître des modèles et à s’appuyer sur des connaissances antérieures.
Bien que les jeunes puissent traiter l’information rapidement sur le plan cognitif, leur manque d’expérience peut ralentir leur capacité à interpréter et à réagir de manière appropriée à cette information.
L’expérience joue un rôle crucial dans la capacité à utiliser efficacement les informations, à prendre des décisions et à résoudre des problèmes.
En conclusion, alors que les jeunes peuvent avoir une vitesse de traitement cognitive intrinsèquement plus rapide, le manque d’expérience peut parfois ralentir leur capacité à utiliser efficacement cette information.
L’expérience des adultes plus âgés peut accélérer le traitement de l’information dans les domaines familiers, mais peut-être moins dans des situations nouvelles ou en rapide évolution.
Il en ressort un intérêt à mixer les générations.
b) Les valeurs de l’engagement et de la loyauté.
Les boomers et les plus âgés de la génération X possèdent des valeurs fortes (que l’on retrouve moins dans la culture des générations Y et Z) : la fidélité et l’engagement vis-à-vis de l’entreprise.
Les Boomers et les membres plus âgés de la génération X ont grandi et sont entrés sur le marché du travail à une époque où les modèles d’emploi à long terme et la fidélité à une seule entreprise étaient des valeurs ancrées. Ces générations ont valorisé la sécurité de l’emploi, la progression linéaire de carrière au sein d’une même entreprise, et la notion de fidélité à leur employeur comme une partie importante de leur identité professionnelle.
Les générations Y et Z, quant à elles, ont évolué dans un contexte économique et technologique différent, caractérisé par une plus grande volatilité du marché du travail, la mondialisation et l’avancée rapide des technologies. Ces générations tendent à valoriser la flexibilité, l’équilibre entre vie professionnelle et vie privée, le développement personnel et les opportunités de formation continue. Elles sont souvent plus enclines à changer d’emploi pour des raisons de développement personnel ou professionnel. Elles sont donc moins fidèles à l’entreprise et moins fiables dans la contribution collective de long terme.
Les seniors deviennent-ils une génération désenchantée ?
Oui, si on les laisse sur le bas-côté, et non à condition de déployer une politique des ressources humaines qui maintiennent leur employabilité dans le temps.
Parfois ou souvent, on les laisse enfermés dans une cage en verre ou limités par un plafond de verre, au lieu de les faire évoluer et finalement leur proposer un départ en pré-retraite. C’est un mal français.
Les statistiques démontrent une forte demande de formation de la part des salariés à partir de 50 ans et une volonté de se renouveler pour continuer à évoluer au sein de l’entreprise.
Pour autant, les boomers ou X ne bénéficient pas toujours d’un renouvellement de leurs missions en interne, à tort, et ne sont pas les premiers bénéficiaires des formations, à tort également.
Une politique ambitieuse des RH pour les repositionner en interne et une politique de formation d’upskilling, voire de reskilling, sont primordiales au bénéfice de l’entreprise.
La mobilité interne, le mentorat, le repositionnement sur des postes d’expertises sont des voies pour redynamiser leur fonction en interne et réenchanter leur travail dans l’intérêt d’une meilleure performance opérationnelle de l’entreprise.
Une récente étude auprès de 200 DRH et DG (étude réalisée par le cabinet Oasys & Cie sur l’emploi des seniors publiée le 23 mai 2023) montre à quel point un accès privilégié à la formation serait la première mesure concrète, recommandée par 70% des professionnels, interrogés pour maintenir leur employabilité.
c) Pour un mix intergénérationnel et pour le mentorat.
Outre les valeurs « corporate /loyauté» que les seniors véhiculent couplées à une expérience irremplaçable, les seniors nous apportent de précieux atouts.
L’intelligence collective
Des équipes composées de personnes de différentes générations apportent une variété de perspectives, d’expériences et d’approches au travail. La diversité stimule la créativité et l’innovation, et finalement l’intelligence collective de l’entreprise.
La legacy
Les boomers et les X sont les légataires des dossiers de l’entreprise. Ils peuvent transmettre des connaissances et compétences précieuses aux plus jeunes, souvent immatérielles. Cet aspect est essentiel : se priver de cet actif de l’entreprise est une perte de savoir-faire sur le plan collectif.
Le mentorat
Il faut recommander de développer le mentorat par lequel un « aîné » accompagne et transmet ses compétences à un plus jeune. La relation peut d’ailleurs être bilatérale, les « cadets », digital natives, pouvant transmettre leurs connaissances des nouvelles technologies dans le contexte de l’avènement de l’IA.
Le mentorat favorise l’inclusion et améliore la performance, la cohésion et le bien-être au travail.
Les entreprises françaises, des PME aux grandes entreprises du CAC 40, adoptent de plus en plus des programmes de mentorat qui sont motivés par : l’amélioration du bien-être et de la performance des employés, la réduction du turnover, l’intégration efficace des nouveaux salariés, et la facilitation de la transition vers des postes à responsabilité. Le mentorat contribue également à la création d’un environnement de travail plus inclusif, en améliorant la communication et la compréhension mutuelle entre les collaborateurs.
Un mix intergénérationnel au sein des entreprises est en conséquence bénéfique pour les entreprises en termes de créativité, d’innovation, de transmission de connaissances, de collaboration, de flexibilité, de réduction des préjugés, et d’équilibre entre stabilité et renouvellement. Il favorise un environnement de travail dynamique et
inclusif, où différentes générations peuvent apprendre les unes des autres et collaborer efficacement.
En conclusion
La vraie spécificité française est le faible taux d’emploi des 55-64 ans à hauteur de 56/57%, indépendamment de l’âge légal de départ à la retraite puisque pour ce faire encore faut-il être encore en poste ! Pour atteindre les taux d’emploi allemand, suédois ou japonais, la marche est haute.
Des études démontrent qu’augmenter le taux d’emploi français des seniors augmenterait significativement le PIB et réduirait corrélativement les déficits publics. Son augmentation est une clé de la croissance, du bien-être collectif et de la préservation du modèle social français.
Le gouvernement ouvre des discussions avec les partenaires sociaux à la suite de la réforme des retraites de 2023. L’un des volets principaux est l’emploi des seniors…à suivre dans les prochaines semaines. Nous partagerons avec vous les différentes pistes discutées très vite (contrat temps partiel senior, CDI intérimaire exonéré de cotisations sociales, etc.)
Selon l’adage bien connu
La jeunesse est une maladie dont on guérit tous.
Nous devrions donc tous porter le sujet de l’emploi des seniors avec conviction !