1 - État des lieux en France


77% des Français sont favorables à une transparence des salaires (étude Glassdoor).
Pour plus des deux tiers des candidats, le salaire proposé est l’information la plus importante d’une offre.

Pourtant, en France les freins culturels liés à l’argent sont élevés. La culture française du rapport à l’argent nous place dans les bons derniers sur ce thème avec l’Allemagne en termes de transparence. A l’inverse, les pays nordiques et le UK n’ont pas ce frein et sont ouverts à la discussion de la rémunération. En Norvège, les bulletins de paie de tous les salariés sont publics et consultables comme vous consulteriez un Kbis.

Le rapport à l’argent a une nature émotionnelle complexe en France. L’évitement et les biais doivent donc être dépassés.

4 niveaux de niveaux de transparence sont possibles :
la publication d’une politique générale de rémunération, celle des critères de détermination de la rémunération, celle de la grille des fourchettes de salaires par poste et niveau, et la transparence absolue comme en Norvège : la communication des salaires de chacun dans l’entreprise.

La directive européenne qui vient d’être adoptée en 2023 – à transposer dans les 3 ans à venir – va poser sur la table en France radicalement la problématique de la transparence des salaires.

En France, deux lois sont d’ores et déjà en vigueur :

  • Une loi de 2018 a instauré un index égalité hommes-femmes. Il est calculé chaque année à partir de 4 ou 5 indicateurs selon la taille de l’entreprise : rémunérations, augmentations, promotions, congés maternité, parité du top management. Il doit être rendu public et transmis à l’inspection du travail. En cas de résultat inférieur à 75 points sur 100, l’entreprise doit prendre des mesures pour corriger la situation dans un délai de trois ans sous peine de pénalité financière pouvant représenter jusqu’à 1% de leur masse salariale. Mais il s’est avéré tout à fait inefficace depuis 2018 car aucun progrès n’a été constaté !
  • La loi PACTE de 2019 a contraint les groupes cotés à communiquer les écarts de salaires existants entre leurs dirigeants et le salaire moyen des employés. Ceux-ci doivent également publier la médiane des salaires de leurs employés. Mais ces dispositions ne concernent que les groupes listés en bourse.

En France, seulement 8% des entreprises publient en interne leurs grilles salariales.

2 - Les risques et avantages de la transparence des salaires prévue pas la directive européenne.


a) Les avantages macros de la transparence sur les salaires.

Les spécialistes RH pensent que la transparence des salaires devrait être une source de motivation du fait de l’équité qui doit en découler par la réduction des écarts, et du fait qu’elle créera un climat de confiance par l’objectivisation, la visibilité et l’équité apportées aux salariés.

Elle réduirait même le stress des salariés en apportant une certitude plus grande sur l’un sujet des plus opaques aujourd’hui : par exemple, un salarié pourra se projeter sereinement s’il connaît la progression de salaire qu’il peut escompter dans le futur, compte tenu de son ancienneté ou de l’objectivisation des critères de performance individuelle.

L’application de grilles de salaires accessibles optimiserait les processus de recrutement en termes de gains de temps, et pour les salariés en poste, elle éviterait la perte de temps de négociations vaines et la pression sur les n+1 dans le cas des demandes d’augmentation dépourvues de cadre faute de grilles transparentes.

La transparence est le premier levier de réduction des disparités H/F, des obstacles à la diversité et l’inclusion. Cet apport vertueux en soi enrichira les engagements sociaux de la RSE de l’entreprise.

La transparence peut enrichir aussi la marque employeur très sensiblement, et renforcer par là-même l’attractivité des talents.

b) Les inconvénients liés à la transparence des salaires.

1 – Les risques de l’homogénéisation

L’égalitarisme porte le risque de conduire au nivellement des salaires vers une fourchette basse. Ce serait en l’occurrence probablement le salaire médian de marché. Mais être rémunéré à la médiane, signifie que 50% des entreprises du même secteur paient mieux. Sur ce point, l’entreprise devra avoir un narratif pour l’expliquer aux salariés.

Des entreprises (prenons l’exemple de start-ups de le tech.) préfèrent privilégier le cas par cas de la rémunération en étant axée sur la méritocratie.

Les conséquences d’une homogénéisation vers le haut :

A l’inverse, en France, les salaires ne pouvant pas être diminués (ce qui peut être le cas dans d’autres pays), la seule solution est d’ajuster les salaires les plus faibles sur les salaires les plus élevés : ce qui risque de représenter un coût qui ne pourra être supporté pour l’entreprise, compte tenu du coût élevé du travail en France.

De plus, dans ce scénario d’alignement à la hausse, il faudra faire accepter à des collaborateurs le fait qu’ils ont été sous-payés pendant des années, créant un risque de ressentiment et de départ de l’entreprise. La transparence est une démarche qui demandera beaucoup de pédagogie.

2 – Justifier les critères de performance

De même, l’entreprise devra avoir un narratif à l’égard de ses salariés, justifiant l’objectivisation des critères de performance qu’elle retient, en étant très précise à cet égard. La Directive de 2023 sur la transparence des salaires en vue de l’égalité hommes/femmes prévoit un renversement de la charge : il incombera à l’entreprise de prouver qu’il n’y a pas eu discrimination directe ou indirecte en matière de rémunération.

En somme, la transparence des salaires convient très bien aux entreprises qui peuvent bien payer leurs collaborateurs, au-dessus de la moyenne ou de la médiane de marché. A ce jour, aucune entreprise n’affiche publiquement sa grille de salaires lorsqu’elle est sous les prix de marché !

Plus l’entreprise est « mature » – en termes de taille et/ou d’ancienneté – plus les écarts existent. Ces écarts fruits du passé et liés à la volumétrie du nombre de salariés, seront plus complexes à harmoniser.

3 - Synthèse des apports de la directive transparence sur les salaires.


Quelles sont les dispositions de la directive de 2023 ?

Article de la directive Résumé
1. Transparence des rémunération avant l’embauche Les candidats ont le droit de recevoir, de l’employeur potentiel, des informations sur : a) la rémunération initiale ou la fourchette de rémunération initiale et b) le cas échéant, les dispositions pertinentes de la convention collective appliquées par l’employeur en rapport avec le poste. L’employeur ne demande pas aux candidats leur historique de rémunération au cours de leurs relations de travail actuelles ou antérieures.
2. Transparence de la fixation des rémunérations et de la politique de progression de la rémunération Les employeurs mettent à la disposition (dans un délai de 2 mois maximum) de leurs collaborateurs, d’une manière facilement accessible, les critères qui sont utilisés pour déterminer la rémunération, les niveaux de rémunération et la progression de la rémunération des travailleurs. Ces critères sont objectifs et non sexistes.
3. Droit à l’information Les salariés ont le droit de demander des informations sur les salaires moyens dans leur entreprise, ventilées par sexe, pour les groupes de travailleurs effectuant des tâches similaires.
4. Communication de données relatives à l’écart de rémunération entre travailleurs féminins et travailleurs masculins.

Ces dispositions renforcent l’index égalité H/F mis en place en France en 2018.
La directive demande aux entreprises d’au moins 100 salariés de fournir des informations sur :
  • l’écart de rémunération (écart type et écart médian) entre les femmes et les hommes ;
  • l’écart de rémunération (écart type et écart médian) entre les femmes et les hommes au niveau des composantes variables ou complémentaires ;
  • la proportion de salariés féminins et masculins bénéficiant de composantes variables ou complémentaires ;
  • la proportion de salariés féminins et masculins dans chaque quartile (quatre groupes égaux dans lesquels les salariés sont répartis en fonction de leur niveau de rémunération, du plus bas au plus élevé) ;
  • l’écart de rémunération entre les femmes et les hommes par catégories de salariés, ventilé par salaire de base et par composantes variables ou complémentaires.
5. Évaluations des salaires Les entreprises seraient encouragées, voire obligées dans certains cas, de réaliser des audits salariaux pour examiner et corriger les disparités salariales entre hommes et femmes.
6. Interdiction des clauses de confidentialité Les clauses de non-divulgation des rémunérations sont interdites, favorisant ainsi une plus grande transparence salariale.
7. Comparaison des rémunérations Les employeurs doivent établir des critères objectifs pour évaluer les rémunérations, en prenant en compte les tâches, les responsabilités et les exigences des postes.
8. Rapport sur l’écart de rémunération Les entreprises de plus de 100 salariés doivent rendre compte de l’écart de rémunération entre hommes et femmes, y compris au sein des catégories de travailleurs.
9. Mesures correctives obligatoires Si l’écart de rémunération entre les hommes et les femmes est injustifié et supérieur ou égal à 5 %, les employeurs doivent mener des évaluations conjointes des rémunérations et y remédier dans un délai de six mois.
10. Recours et sanctions Des recours sont prévus pour compenser les salariés victimes d’un écart de rémunération injuste, tandis que des sanctions sont prévues pour les employeurs en cas de non-respect de la législation.
Renversement de la charge de la preuve

Il incombe à l’entreprise de prouver qu’il n’y a pas eu discrimination directe ou indirecte en matière de rémunération.
Il incombe aussi à l’entreprise de prouver qu’elle s’est conformée aux obligations de transparence prévues par la Directive.

La directive qui conduira les entreprises à des publications sur les salaires et leurs critères de détermination,
a vocation à lutter contre l’inégalité des salaires entre hommes et femmes : en 2023, compte tenu des écarts de rémunération, les femmes ont travaillé « gratuitement » à partir du 6 novembre (Les Echos du 6 novembre 2023). Cette date est la même qu’en 2018, peu ou prou (année de mise en place de l’index égalité H/F) : aucune avancée n’est constatée.

Par ailleurs, seulement un quart des entreprises française respectent une véritable parité dans les dix meilleures rémunération.

Anticiper sur la deadline de transposition prévue en juin 2026 pour avoir une politique RH de transparence novatrice en France, aurait un impact éminemment positif sur la marque employeur.

Mais le chantier est conséquent, il convient en moins de 3 ans :

  • D’établir les objectifs de l’entreprise en matière d’équité salariale et de transparence,
  • De réaliser une évaluation des structures salariales, des politiques et des pratiques,
  • D’ajuster les salaires individuels et modifier autant que nécessaire les structures, politiques et systèmes de
    rémunération, tout en renforçant la communication autour des salaires auprès des managers et des employés.

Vaste programme…